FOCUS : CHARLES CARRERE L’ARTISTE SURRÉALISTE
2024 : le surréalisme fête ses 100 ans !
Le surréalisme s’inscrit comme un mouvement poétique et artistique qui a trouvé ses origines dans le mouvement Dada. C’était une totale remise en question des conventions et contraintes qu’elles soient idéologiques ou esthétiques.
Chez Charles Carrère, le surréalisme c’est comme une deuxième peau. Il aime déformer la réalité, il dévie la représentation classique pour créer de nouvelles approches où la censure ne peut dès lors exister. Tout est permis.
Il a illustré sa définition personnelle du surréalisme avec cette oeuvre réalisée à la plume qu’il nommait tout simplement « Auto-portrait » et lorsque je lui demandais une explication il répondait « C’est tout ce qu’il y a dans ma tête ».
L’artiste n’était pas très bavard et disserter longuement sur un sujet lui semblait une perte de temps. Néanmoins j’ai quand même eu le privilège d’une explication détaillée afin que je puisse témoigner de son oeuvre lors de mes conférences.
Par ailleurs il renvoyait toute tentative de questionnement supplémentaire vers la lecture du manifeste du surréalisme rédigé par André Breton.
Charles Carrère préférait montrer ses dessins et peintures et observer les réactions plutôt que de discourir sur son oeuvre.
Il a réalisé un nombre considérable de dessins, collages, aquarelles et huiles mais les gardait jalousement. Tous les jours, une fois sa journée de maître verrier terminée, il montait à l’étage dans son univers pour rejoindre son atelier d’artiste dessinateur et peintre.
Les oeuvres illustrant ce Focus :
1. Iris noir en grand deuil
Charles Carrère a doté son iris noir d’un regard, offrant ainsi l’illusion d’un visage. Il l’a aussi équipé d’une mantille pour donner une certaine noblesse à son attitude de fleur endeuillée.
L’artiste a misé à la fois sur l’humour graphique avec le gag visuel que l’on perçoit au premier regard mais aussi sur l’humour noir dans lequel il excellait : ce symbole fleuri de l’espoir ou le souvenir mythologique de la déesse Iris qui n’apportait que de bonnes nouvelles… Son humour noir, c’était sa façon d’exorciser de vieilles souffrances suite aux remarques de certaines personnes qui qualifiaient les oeuvres dont il était fier : d’étranges et anormales….
En fait le surréalisme l’habitait totalement dès qu’il endossait son rôle d’artiste dessinateur et peintre.
2. L’extraction du Banania
L’extraction du Banania oeuvre surréaliste de Charles Carrère est une gouache aquarellée qui date de 1972. L’artiste s’est laissé aller au « rêve gourmand » d’une banane géante de laquelle on extrait le suc qui est ensuite transporté sur un tapis roulant puis dans des wagonnets – un peu comme le charbon vers les usines de transformation – et pour finir cuit dans la fournaise que l’on aperçoit en arrière plan.
3. Une plume, un oiseau
Il s’agit en fait d’un détail d’une oeuvre titrée « Chien Chat Oiseau » réalisée selon les techniques de « gouache aquarellée » pour le fond et de collage pour les animaux qui sont reconstitués avec des éléments découpés dans des magazines.
Pour l’oiseau, Charles Carrère a commencé par réaliser son profil en gouache pour ensuite lui coller une plume qu’il a découpée dans un magazine.
C’est le côté « Un rien l’habille » qui amusait beaucoup l’artiste.
Voici ci-dessous le tableau dont l’oiseau est extrait : Pour le chien, l’artiste a notamment découpé des visages et des photos d’humains : on le constate facilement avec les yeux mais il a dissocié les différentes parties et les a « semées » sur le chien. On remarquera le détail de la 2eme patte qui révèle un doigt humain à la place d’une griffe et sur la patte arrière juste avant la queue on repèrera un bras dont le poignet porte un bracelet doré (cliquer sur l’image pour voir ce détail). Le chat noir quant à lui a été réalisé avec des cheveux noirs découpés dans une revue.
Oeuvres de Charles Carrère
* « L’enterrement du centaure » – dessin à la plume + gouache aquarellée + huile
Avec l’enterrement du centaure, Charles Carrère nous offre une belle palette de créatures anthropomorphes.
L’artiste situe la scène sur les bords de la mer Égée, sur une plage avec des cabanes et des centaures. On se retrouve plongés dans la mythologie au beau milieu du sud-est de la Thessalie dans les vallées du Mont Pélion peuplées de centaures.
Mais Charles Carrère a imaginé un scénario totalement indépendant de l’histoire grecque. Il explique que c’est l’ami du défunt, un centaure comme lui, qui tire le corbillard; on remarquera qu’il est très triste.
En avant plan, deux personnages qui sont des sortes d’insectes aux pattes d’oiseaux sont chargés si besoin de rétablir l’équilibre du véhicule à l’aide du cordon relié au baldaquin sur lequel se tient un oiseau. Mais en fait ces insectes sont là comme un public un peu curieux.
À l’arrière du corbillard c’est un cortège qui se réduit à deux mantes religieuses qu’une sorte de meunier à la blouse en damier noir et blanc maintient entre deux cordes à franges. Derrière lui, chapeauté d’un espèce de bicorne du second empire, on peut y voir un sous-préfet ou un officiel « avec son grand air » comme aimait le souligner Charles Carrère.
Et au loin en bord de mer, des silhouettes de fantômes de centaures semblent rendre hommage à leur semblable. Un oiseau aux ailes ouvertes se tient devant eux, serait-il le cordon de sécurité ?….
Les créatures préférées de l’artiste étaient les mantes religieuses qui suivent le convoi. On les retrouve dans la gouache aquarellée ci-dessous mais un peu modifiées puisqu’ici elles sont reliées au corbillard par un chapelet.
Charles Carrère disait qu’il préférait le centaure de cette gouache car son visage exprimait davantage la tristesse. Pour le voir il suffit de cliquer sur l’image. Quant aux mantes religieuses, lorsque je zoomais avec ma caméra et que je montrais le résultat à Charles Carrère nous riions de bon coeur. Il m’avait même demandé de lui faire une photo des deux mantes de cette gouache aquarellée.
Une autre version de l’enterrement du Centaure, c’est celle-ci. Elle est peinte à l’huile sur une toile. Et ici on constatera qu’il y a beaucoup plus de monde dans le cortège qui suit le corbillard.
Et cette fois c’est un âne mené par un humain qui tracte la charrette ! L’ami centaure du défunt se trouve tout derrière le cortège. Juste devant lui et en avant-plan, on aperçoit aussi une sorte d’oiseau portant une calotte rouge et la « Cappa magna » habit de cérémonie de cardinal. La Cappa Magna est tenue par un autre oiseau qui est au service du cardinal.
Devant et de part et d’autre du cardinal, deux curieux suivent le convoi. Et à hauteur du cardinal mais côté plage on retrouve l’officiel avec son grand air comme le rappelle Charles Carrère.
Les oiseaux sont très présents dans les oeuvres de Charles Carrère. Ceux-ci occupent une grande place dans sa vie. Durant son jeune âge il vit dans la ferme familiale angloy toute proche de la butte aux cailles. Et déjà tout petit, il regarde à la fois horrifié et fasciné les femmes qui plument les oiseaux.
Il n’a jamais cessé de vouloir leur rendre vie. Il les représente sous un profil anthropomorphe et en profite parfois pour dénoncer les défauts humains.
* « MAYFLOWER »
ou la saucière revisitée 1/4
Lors de ses nombreux « entraînements au dessin » alors qu’il avait choisi la saucière de sa grand-mère pour exécuter une nature morte au fusain, l’imagination de Charles Carrère la transforme en navire…
C’est ainsi que la saucière devient le Mayflower ce navire qui a marqué l’histoire de la colonisation des Etats-Unis. Pour rappel, le Mayflower transporte à son bord des dissidents protestants persécutés en Angleterre et qui souhaitaient trouver un lieu propice pour exercer leur religion.
* « PARTANCE POUR LES AMÉRIQUES À LA BARRE AU 19e SIÈCLE »
ou la saucière revisitée 2/4
Cette même saucière inspirera plusieurs fois l’artiste puisqu’on la retrouve dans un caprice dessiné au fusain.
L’idée lui est venue après la lecture d’un article sur l’émigration basque en Amérique au XIXème siècle. Charles Carrère y apprend avec étonnement que 100.000 basques ont quitté le pays pour tenter leur chance de l’autre côté de l’océan.
L’artiste vit à Anglet et aime aller se promener du côté de La Barre là où l’Adour se jette dans l’océan.
Son imagination l’amène à créer un ponton de bois sur lequel se tient la famille très inquiète qui fait ses adieux. Et la saucière-navire accentue encore la fragilité de l’embarcation face à la force et l’immensité de l’océan….
Une oeuvre au fusain voit le jour c’est « Partance pour les Amériques à La Barre au dix-neuvième siècle »
* « LA NEF DES FOUS »
ou la saucière revisitée 3/4
Charles Carrère offre ensuite une huile sur toile mettant à nouveau en vedette la saucière de sa grand-mère.
Son oeuvre qui s’intitule « La nef des fous » s’inspire d’une gravure « L’écaille naviguant » de Pieter van der Heyden inspirée de Jérôme Bosch. Dans l’oeuvre de Van der Heyden on aperçoit des fous et des folles naviguant dans une moule géante entrouverte.
La troisième référence elle concerne le titre, elle est littéraire, c’est un ouvrage titré « La Nef des fous » écrit par Sébastien Brant au sujet de la condition humaine. L’auteur sait que le bateau va, simplement, vers son naufrage.
Si l’on observe bien cette oeuvre de Charles Carrère, on voit une nette similitude avec les personnages du Mayflower. Mais ici les oiseaux sont plus nombreux encore et c’est ce qui définit cette nef des fous comme une idée folle d’imaginer que cette saucière pleine à craquer va tenter la traversée de l’océan !
* « DANTE ET VIRGILE »
ou la saucière revisitée 4/4
Et pour montrer que la saucière de sa grand-mère est décidément une grande source d’inspiration voici un caprice dessiné au fusain et titré : « Dante et Virgile » tiré de l’ouvrage » La divine comédie « .
Dans ce poème écrit par Dante, on découvre son voyage en enfer, guidé par Virgile. Il traversera les trois règnes supraterrestres qui vont le conduire jusqu’à la vision de la Trinité.
Mais l’idée du bateau a été inspirée par l’oeuvre de Delacroix « La Barque de Dante » conservée au Musée du Louvre à Paris. L’oeuvre d’Eugène Delacroix c’est l’illustration du cinquième cercle de l’Enfer, celui des coléreux condamnés à demeurer dans les eaux boueuses du Styx. Les coléreux étant incarnés dans l’oeuvre de Charles Carrère par des oiseaux que l’on aperçoit en galère autour de la saucière.
Il est évident qu’il y a encore beaucoup d’oeuvres surréalistes de Charles Carrère et comme elles sont réalisées avec des techniques différentes, fusain, encre, plume, gouache aquarellée, huile, collages etc… vous pourrez en découvrir d’autres lors des prochains Focus consacrés à son oeuvre d’artiste.
Néanmoins en voici quelques unes et pour le plaisir de la découverte, vous pouvez cliquer sur chaque photo :
Artistes inspirants
La passion de Charles Carrère pour les drôleries du Moyen-Âge ou dessins que l’on retrouve dans les marges des manuscrits a bien entendu titillé son imagination fertile.
Mais pour lui, la « star » précurseur du surréalisme c’est Jérôme Bosch. « C’est mon sentiment » se défendait-il. Charles Carrère était en « perpétuel exercice » comme en « entraînement de dessin » au même titre qu’un sportif. Il aimait réaliser des oeuvres inspirées de ses artistes préférés comme ici avec » La tentation de saint Antoine » une oeuvre de Jérôme Bosch conservée au Musée National d’Art Ancien à Lisbonne (MNAA).
Charles Carrère a extrait de l’oeuvre de Jérôme Bosch le personnage avec un entonnoir sur la tête qui semble apporter un message, perché sur ses patins à glace (volet de gauche, en bas à droite) mais Charles Carrère l’a placé à droite de son dessin au fusain et l’a représenté comme un marcheur équipé d’un bâton. Quant au poisson-véhicule (volet central en bas au milieu), Charles Carrère l’a placé à gauche de son « caprice » il a dessiné un personnage qu’il a installé à cheval sur le poisson. « Le véhicule » se conduit à l’aide d’un leurre en référence à la carotte pour faire avancer un âne.
Charles Carrère avait une affection particulière pour les surréalistes belges contemporains René Magritte et Paul Delvaux. Il aurait aimé visiter le musée René Magritte à Bruxelles ainsi que celui de Paul Delvaux à Sint Idesbald
Voici quelques noms parmi la longue liste des artistes qui l’ont marqué et donné envie de poursuivre ses recherches artistiques durant toute sa vie : Goya et son génie visionnaire, Pieter Brueghel l’Ancien et son surréalisme dans « Margot la folle » , Albrecht Dürer et sa vision surréaliste dans « Nemesis », Pablo Picasso pour la découverte des collages mais ensuite de son oeuvre cubiste et surréaliste – Max Ernst avec ses peintures et sculptures surréalistes, ses grattages etc. – Salvador Dali et son oeuvre immense qui l’a mené jusqu’au dessin animé, la publicité, la mode et qui a créé le scandale avec sa déclaration « Le surréalisme c’est moi ! » et plein d’autres artistes évidemment que nous découvrirons à travers d’autres futurs Focus.
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